La série inclue un spin-off dédié aux tables françaises, intitulé Chef’s Table France. Le premier épisode est consacré à Alain Passard et c’est de lui dont je veux vous parler ici.
Je m’intéresse à ce Chef depuis un certain temps et son interview est arrivée à point nommé pour venir confirmer mon ressenti et nourrir mes idées.
Écouter Alain Passard parler de son métier est un vrai bonheur. Dans Chef’s Table, il parle de son amour pour la cuisine, de son parcours, de ses maîtres d’apprentissage,… et de sa reprise de l’Arpège, lieu chargé de son histoire, puisque c’est à cet endroit même qu’il a fait ses premières armes.
Mais ce qui m’a surtout intéressée, c’est d’entendre son cheminement en tant qu’homme. Une évolution qui l’a amené à découvrir la cuisine légumière, et qui fait de lui aujourd’hui un homme heureux.
La créativité par le vide
Pour Alain Passard, la créativité commence par le vide. Ne rien noter, n’écrire aucune recette… cela oblige à chercher et à chaque jour se réinventer.
Ce vide, il l’a connu d’autant plus lorsque travailler l’animal lui est devenu douloureux. Une forme de lassitude qui pousse le Chef à changer de trajectoire. Ne plus vouloir faire comme avant, ni comme d’habitude. Ne plus faire les recettes de façon traditionnelle… Au contraire, laisser s’exprimer l’envie de faire autre chose, autrement, pour avancer. La cuisine animale laisse alors place à la cuisine légumière. Le choix d’Alain Passard est devenu clair et évident.
Et entre les deux styles de cuisine, plus aucun doute. Dans une autre interview il dira d’ailleurs que “La cuisine de la viande est fatigante parce qu’il y a le sang et qu’on est en relation avec l’animal mort. La cuisine du légume est très reposante, on est dans la peinture, dans la couture”.
Cette prise de recul lui permet de (re)découvrir le légume et dans le même temps de retrouver son âme d’artiste avec une nouvelle envie de créer.
Le légume sous toutes ses coutures
Pour Alain Passard, un jardin est une grande source d’inspiration pour la créativité. Chaque légume est unique. Comme un être humain, il a ses propres spécificités. Planté et cueilli à deux endroits différents, il n’aura ni le même aspect, ni la même saveur.
Au-delà de ses caractéristiques uniques, le légume demande en cuisine un travail sur la texture, le design, le visuel. Cela demande un geste nouveau, une nouvelle main. C’est aussi un nouveau regard, de nouvelles saveurs, de nouveaux parfums, de nouveaux sons de cuisson… Une broderie intime avec le produit qui permet à l’artiste de travailler son geste différemment et de retrouver un plaisir des sens.
Un pari audacieux
En passant à la cuisine légumière, Alain Passard retire de la carte tous ses plats “animaliers” qui lui ont permis d’obtenir trois étoiles au Guide Michelin.
Une prise de risque qui lui a valu de nombreuses critiques. Certains, choqués par cette nouvelle cuisine, diront même qu’“il ne fait plus que des carottes et des navets”. Un crime à la cuisine française qui met l’Arpège en péril.
Mais son audace et sa détermination ont payé. Pour le Chef, même si prendre des risques c’est avoir “le frisson tous les jours car on a peur”, c’est aussi et surtout faire des heureux.
Le Guide Michelin lui laisse finalement ses étoiles et aujourd’hui l’Arpège fait partie des plus grandes tables de la cuisine française.
Une nouvelle vision de la cuisine végétale
Les clients de l’Arpège se laissent peu à peu convaincre. Le “carnivore” transforme sa vision du légume et entretient avec lui une relation plus douce. Les mentalités changent…
Alors que le légume était longtemps resté au rang de second rôle, il devient l’acteur principal, le produit star, sublimé par ce Chef visionnaire et audacieux. Sans pour autant passer au tout végétal, Alain Passard instille déjà un nouveau style de cuisine et ouvre certainement la voie.
J’ai l’intime conviction que les grands Chefs sont à même de transformer notre vision des choses. Symboles de la gastronomie traditionnelle, garants de nos saveurs d’antan, ce sont aussi eux qui créent la gastronomie de demain. En redonnant aux légumes leurs lettres de noblesse, Alain Passard propose une nouvelle façon de penser la cuisine végétale.
En toute logique, son prochain défi pourrait être d’accéder à la haute gastronomie vegan, démontrant ainsi toute la richesse de l’univers végétal au-delà du légume. Avec des créations encore plus audacieuses et innovantes, il pourrait en effet être de ceux qui nous accompagnent vers la cuisine de demain.
Alain Passard dit que ses jardins lui ont sauvé la vie. Au-delà du cuisinier, c’est l’être humain qui vient subtilement nous suggérer d’être davantage en accord avec la nature.
Et bien que quelques notes suffisent pour créer une musique, la mélodie n’en est que plus belle si elle est bien composée et orchestrée. L’exigence et la précision d’Alain Passard font aujourd’hui de son “arpège” un accord parfait. Demain, la musique sera encore plus belle. A nous de l’écouter…