Chez Anicia, on se sent bien. L’univers du Chef Gagnaire est à son image, délicat et bienveillant. Je suis allée à la rencontre de ce Chef “nature” pour qui l’humain est important.
L’humain au coeur de la nature
Le Chef avoue que la surconsommation de viande et de poisson est en effet problématique, et que même le bio n’est pas forcément meilleur pour la planète. Mais pour lui, l’humain doit être le moteur principal de tout changement, il doit être capable de se raisonner et de trouver le juste milieu.
Quand je l’interroge sur la gastronomie 100% végétale, le Chef est encore dubitatif et préfère proposer des mets qui conviennent à la majorité. C’est pourquoi chez Anicia, on trouve deux cartes pour deux ambiances : bistrot le midi et restaurant gastronomique le soir.
Cependant, s’il y a bien un plat qui fonctionne bien chez Anicia, c’est la pastorale de légumes. Le Chef me confie que 70% des clients optent pour la pastorale végétarienne… pour le plaisir. Mais il est intéressant d’observer que ce ne sont pas les végétariens qui fréquentent le restaurant et que la pastorale remporte un franc succès auprès des clients plutôt “flexitariens”.
Le Chef tient à faire plaisir à tout le monde et à trouver le bon équilibre dans ce qu’il sait faire. La pastorale, qui se métamorphose chaque semaine au gré des légumes de saison, donne le ton de sa cuisine nature et lui correspond bien.
Une lentille pas comme les autres
Anicia est le nom latin de l’ancienne ville romaine du Puy-en-Velay et le nom de la première légumineuse AOP.
Le Chef n’a pas choisi ce nom par hasard. Né en Haute-Loire, il a ouvert son premier restaurant gastronomique dans la région du Puy-en-Velay. Une fois à Paris, il a fait d’Anicia un lieu où il transmet l’âme de son terroir et son histoire.
Quand même… Je ne peux m’empêcher de parler au Chef de cette lentille pas comme les autres. Elle me paraît si précieuse, avec un tel potentiel pour la cuisine végétalienne. Pourquoi donc s’arrêter en si bon chemin ?
Le Chef me parle humblement de la tarte à la lentille qu’il propose parfois au restaurant. En moi-même je me dis que j’aurais vraiment aimé la goûter, si seulement le Chef pouvait en faire sa version vegan.
Anicia a tout pour elle et les ingrédients que le Chef a entre ses mains mériteraient juste un petit coup de pouce pour rendre l’ensemble plus végétal.
Le juste équilibre
Notre discussion est hautement intéressante et ce que me dit le Chef m’interpelle.
Francois Gagnaire est attentif à ce qui se passe autour de lui. Il avoue que ce n’est pas toujours évident de contenter tout le monde et d’aller vers des terrains inconnus. Il observe les restaurants qui ferment leur porte après avoir tenté une aventure un peu hasardeuse. Alors il doute un peu de ces “nouvelles tendances”. Et bien qu’il soit d’accord sur le fait que le véganisme n’est pas juste une tendance temporaire, il souhaite voir jusqu’où cela va aller, peut-être avant de se lancer.
Il est vrai aussi que les chefs ne savent pas tous cuisiner végétalien, de la même façon qu’ils ne savent pas toujours répondre à la question des allergies alimentaires. Pour pouvoir s’adapter, ils devraient prendre le temps d’apprendre de nouvelles manières de faire, et ce n’est pas toujours simple.
François Gagnaire est un homme du “juste milieu”, de l’équilibre sain et serein, qui souhaite aller dans le sens d’un respect de la nature. Il est réaliste et curieux à la fois. Il tente d’être au coeur de plusieurs mouvances, sans devenir spécialiste de l’une plutôt que de l’autre. Sa préférence de rester dans un entonnoir plus large lui semble d’ailleurs plus bénéfique à la cause vegan. Pour le Chef, le tout est de trouver un équilibre et de rester modéré.
Repenser la cuisine nature
Dans sa cuisine “nature”, François Gagnaire met surtout en avant les démarches équitables. Il travaille avec des associations locales et privilégie les produits artisanaux. Défendre les petits producteurs, ceux qui n’ont pas forcément de label bio mais qui ne sont pas dans une démarche marketing, lui semble important.
Il a d’ailleurs aidé la marque “Le Boucher Vert” à se développer, avec la volonté de démocratiser la cuisine végétale dans les cantines.
Mais je challenge un peu le Chef en lui demandant jusqu’où va notre compréhension de la nature et pourquoi nous n’allons pas un cran plus loin. Les animaux ne font-ils pas aussi partie de cette nature que l’on défend dans certains restaurants ?
Une ouverture sur les nouvelles techniques
Le Chef est curieux des nouvelles techniques utilisées par les Chefs vegans.
Comment faire une mousse de lait, une émulsion, monter un jus de pois chiche… ? Quelles sont les techniques utilisées pour retravailler les produits de base comme les oeufs ?… Les nouveaux ingrédients utilisés en cuisine végétale demandent une adaption des techniques, et en cela, l’apprentissage de ces nouvelles méthodes peut être intéressant pour un Chef de cuisine traditionnelle.
Les Chefs sont des généralistes et font tout simplement ce qu’ils ont appris à faire. Il y a donc un besoin de leur transmettre de nouvelles connaissances, plus spécifiques et plus complètes. Mais en même temps, est-ce que ces Chefs généralistes peuvent devenir des spécialistes de tous les produits qu’ils travaillent ? La question reste entière.
Notre discussion fait partie de ces instants de vie où quelque chose se passe au-delà des consciences. Et même si nous n’avons pas tout à fait la même vision des choses, de ce moment se dégagent une belle écoute et un grand respect de chacun.
Le Chef avoue que conduire les gens à manger sain est tout de même une sacrée mission. Moi je crois en son potentiel pour aller encore plus loin dans la naturalité qu’il incarne au travers d’Anicia. Et porté par sa belle étoile, je suis convaincue que François Gagnaire pourrait faire de son Anicia une vraie graine de papilles.