Jean-Christian, quelles sont les principales différences entre un plat vegan et un plat non vegan ?
Il n’y a plus de différence, les seules limites sont l’imagination du cuisinier. Les textures de la cuisine vegan sont créés par la manière de travailler les ingrédients et ils sont beaucoup plus nombreux que la viande, le poisson et les fruits de mer. Pour le goût c’est pareil. En cuisine conventionnelle nous avons tendance à concentrer le goût en cuisinant par exemple des ragoûts à base de viande pendant des heures, ne gardant aucune qualité nutritive, seul le goût compte, ce qui est exactement à l’opposé de la cuisine vegan où ma priorité est la qualité nutritionnelle. Le dressage de produits frais et les couleurs des micro-greens et herbes fraîches que j’utilise font toute la différence. Je n’essaie pas de reconstituer l’apparence ou le goût de la viande, il faut absolument revenir aux produits purs.
Y a-t-il un ingrédient plus difficile à travailler en version vegan ?
Non, pas vraiment, ce sont simplement des techniques de cuisson et un timing différent. Il faut bien souvent commencer sa préparation de cuisine vegan la veille, en infusant des ingrédients pendant plusieurs heures, réhydrater des produits secs. J’utilise des déshydrateurs pour concentrer le goût de certains ingrédients et en changer la structure, travailler les températures de certaines huiles ou graisses pour les rendre fermes ou liquides, utiliser des bactéries pour fermenter des produits frais, toutes ces techniques sont utilisées quotidiennement dans ma cuisine et font partie intégrante de mes cours de cuisine à Blue Lotus.
Comment aider les Chefs à connaître toutes les subtilités entre les différentes options végétales ?
Il faudrait déjà commencer par les motiver. Le marché du lait d’amande, de riz, de soja et autres noix est en plein développement, de nouveaux produits et nouvelles marques sont créés en permanence. Nous sommes encore aujourd’hui dans un marché plutôt alternatif et les Chefs vegan ne sont pas vraiment pris au sérieux. Il n’existe aujourd’hui en Europe et aux Etats Unis toujours aucune possibilité de passer un CAP de chef sans travailler viande, poisson et fruits de mer.
J’ai personnellement approché les écoles officielles, j’ai contacté le parlement européen, j’ai parlé à la presse internationale, personne ne semble intéressé. La seule chose qui les amusait était de voir que pour la première fois, un restaurant végétalien venait chatouiller la liste des meilleurs restaurants conventionnels et entrait dans la liste des 500 meilleurs restaurants allemands, entrait dans le Gault et Millau et refusait sa première étoile. Même une extension ou un diplôme officiel de Chef végétalien après CAP ne les intéresse pas. C’est l’éducation qui forme, pour moi il n’y a aucune autre solution qui tienne la route.
Pourquoi d’après vous les Chefs vegan ne sont pas davantage mis en avant ?
En France ils sont peu nombreux, pareil dans le reste du monde. Je suis le premier Chef vegan français à travailler et publier au niveau international. Nous ne sommes encore qu’au début de la révolution végétale. Les gens qui nous dirigent, le ministère de la santé ou celui du développement du futur nous ignorent complètement. J’ai essayé d’inviter Nicolas Hulot au Paris Veggie World d’Octobre 2017 et ma demande a été complètement ignorée, comme si nous n’existions pas, même pas une réponse négative, rien. Le ministère de la santé devrait être accusé de négligence nutritionnelle. Ils sont nommés et payés pour nous aider à vivre mieux et en bonne santé et interdisent par exemple à nos étudiants de se nourrir avec des repas santé cuisinés à la maison. Il faut que les gens qui nous dirigent arrêtent de se cacher derrière une ignorance nutritionnelle qui devient choquante.
Que faudrait-il pour que les mentalités évoluent ?
Plus d’information, plus d’exemples. Regardez autour de vous. Ce que nous avons créé pour améliorer notre vie de tous les jours est absolument incroyable. Le seul secteur où nous avons régressé est celui de l’alimentation. Y a t’il quelque chose de plus important que notre santé? Je reste souvent sans voix.
Le coût des allergies et maladies provoquées par l’absorption de produits laitiers, légumes et fruits, viandes et poisson couverts et nourris aux pesticides est monstrueux. Si le ministère de la santé commençait à promouvoir l’alimentation à base de plantes fraîches avec une interdiction globale d’utiliser des pesticides, cela changerait la donne et aiderait l’alimentation végétale à retrouver sa place.
Il y a encore un siècle nous avions dans nos assiettes un petit morceau de viande et beaucoup de légumes, aujourd’hui c’est l’inverse… pourquoi personne ne réagit ?
Comment encourager les grands Chefs à s’intéresser davantage au végétal ?
Alain Ducasse est pour moi un bon exemple de l’évolution de la cuisine conventionnelle vers une cuisine végétale. Pareil pour Michel Bras qui m’a gentillement offert une recette pour mon livre. L’avenir des grands restaurants est lié à l’évolution de la cuisine végétale. Je viens de passer deux mois à Mexico City ou les chefs ne sortent pas de leur zone de confort. Le Mexique et le Pérou sont pour moi deux des meilleures sources de fruits, légumes, noix, plantes et racines du monde, mais les chefs restent dans ce que je nomme le menu aux “5 T”, tacos, tortilla, tortas, tamales et tequila. La Salicorne par exemple pousse au Mexique où elle n’est pas consommée. Amarante et Quinoa ont 7000 ans d’histoire au Mexique et sont consommés principalement en Europe et aux Etats-Unis. Au mois de juin j’ai cuisiné vegan dans la cantine de Hearst à New York qui abrite les rédactions de Elle, Cosmopolitan, Esquire (pour ne citer qu’eux) et la plupart des 1200 employés faisaient un détour pour ne pas se faire contaminer par ma cuisine végétale. “Sorry but this looks too healthy for me…” (désolé, votre cuisine me semble trop saine).
Pour motiver les chefs, motivons aussi la population. La presse joue un rôle très important pour motiver les gens. Amis journalistes, rapprochez-vous des cuisiniers végétaliens… Please !
Quels conseils donneriez-vous aux grands Chefs ?
De visiter les salons végétaliens, de goûter aux nouveaux produits et ingrédients, d’ouvrir la porte de leur cuisine aux collègues végétaliens, et de produire des plats santé pour une clientèle de plus en plus friande de plantes fraîches. Encore aujourd’hui, dans beaucoup de restaurants, le client végétalien doit se contenter de pâtes, salade ou accompagnements. Je pense que dans l’avenir, chaque restaurant proposera des plats végétaliens à ses clients. Vegan n’est pas une religion. Ce serait une grosse erreur d’isoler le monde vegan du monde conventionnel. McDonald l’a compris. Ils proposent aujourd’hui un burger veggie. C’est cela l’avenir de la cuisine vegan. Dans moins d’un siècle la consommation de la viande aura baissé dramatiquement. Notre avenir, notre survie est dans le végétal, les chefs vont lentement s’adapter à cette nouvelle cuisine, cela ne fait pour moi aucun doute.
Je pense aussi sincèrement que si les salons de gastronomie traditionnelle invitaient des Chefs vegan cela serait bénéfique pour tout le monde. Cloisonner les Chefs vegans dans les salons végétaliens ne fait pas avancer la cuisine à base de plantes. Nous nous adressons à une clientèle déjà convaincue et convertie. Il faudrait pouvoir nous adresser à la clientèle traditionnelle et conventionnelle, et leur donner l’opportunité de goûter notre cuisine.
Mon jeune camarade restaurateur péruvien du restaurant Seitan Bistro de Lima, Santiago Santolalla, vient d’être contacté par les organisateurs du plus grand salon culinaire de Lima pour présenter sa cuisine pendant 1 mois dans le restaurant du salon culinaire. Santiago a fait des stages de cuisine en France, notamment à l’académie Paul Bocuse, et il représente pour moi l’avenir de la cuisine vegan en Amérique Latine. A quand la même opportunité en France ?
Un grand merci à Jean-Christian pour cet échange et pour ses réponses pleines de passion !
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